Voici le vip demandé :
Personnalité : Jean SNELLA (partie 2)
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UN MYTHE EN ACTION
Dès sa prise de fonction, Jean Snella prend une décision radicale : il ne garde que les meilleurs éléments du groupe précédent, le complète par les jeunes qu’il a eu sous sa main et dont il est le mieux placé pour savoir qu’il représentent l’avenir tout en s’assurant un recrutement judicieux pour les postes qu’il n’aurait pas réussi à pourvoir en interne. Dès sa première année, il a la main heureuse en parvenant à faire signer l’attaquant hollandais, Cornelius Bernardus Rijvers. Surnommé « trottinette », il apporte une indispensable touche technique à un ensemble qui commence à appréhender les nouvelles méthodes du nouveau mentor.
L’ASSE réalise déjà une premier exploit en 1951 en atteignant la demi-finale de la Coupe de France après avoir du batailler férocement contre Le Havre en quart de finale. Trois matches ont été nécessaires pour départager les deux clubs (0-0, 0-0 et 5-1) et épuisés, les hommes de Jean Snella ont du s’incliner contre Valenciennes (1-3). La nouvelle politique consistant à miser sur les jeunes commence à porter ses fruits et même si Snella tâtonne au début dans son recrutement (témoin cette triplette brésilienne, Oliveira, Zara et Nola, recrutée en 1951 et pas vraiment convaincante), les fondations sont posées pour les échéances futures.
Snella sur le banc de touche, imperturbable
Bien sûr, certaines saisons sont plus difficiles que d’autres comme celle de 1952-53, où l’ASSE côtoie les dernières places pendant les deux tiers du championnat avant de terminer à un pénible 11e rang. Consolation, les Verts se hissent de nouveau en demi finale de la Coupe de France battus cette fois-ci par le futur vainqueur, Lille (0-1), rencontre qu’ils ont du disputer en grande partie en infériorité numérique à la suite de la blessure de l’avant centre Raymond Haond (jambe cassée). Qu’importe, inlassablement, l’entraîneur stéphanois, imperturbable, trace son sillon. Il se comporte en véritable père pour ses ouailles allant jusqu’à graisser les ballons, enlever les bourres des chaussettes pour éviter les ampoules ou exigeant de ses joueurs qu’ils arrachent les mauvaises herbes de la pelouse s’il la juge indigne de la pratique du football avant de commencer un entraînement.
Aucun détail ne lui échappe et petit à petit, le club entame son ascension fulgurante facilitée par l’arrivée d’un nouveau prodige dont il a tout de suite vu le parti qu’il pouvait en tirer. En 1954, Rachid Mekloufi pointe le bout de son nez. Son talent cadre parfaitement avec la philosophie du football, basée sur le jeu vers l’avant prônée par Snella. Il est l’étincelle qui lui permettra d’atteindre ses premiers objectifs et d’offrir à l’ASSE ses premiers trophées. En 1955, Saint-Etienne remporte son premier titre : la Coupe Drago (une épreuve où s’inscrivent les éliminés de la Coupe de France), l’ancêtre de la Coupe de Ligue. En quart de finale, les Verts battent Aix en Provence (3-1), puis Lyon (4-0) et pour finir Sedan (2-0) grâce à deux buts de Collados (19e mn) et N’Jo Lea (65e).
LA CONSECRATION
La saison suivante, le rajeunissement continue et d’autres espoirs sont incorporés parmi les pros rejoignant N’Jo Lea, Mekloufi et Goujon (cousin de Cuissard). Ils ont pour nom, René Ferrier, Richard Tylinski qui joue avec son frère Michel, Georges Peyroche. Ils ont tous dix-huit ans et demi et sont fins prêts pour la grande aventure. Ils sont devenus champions de France amateur et Jean Snella leur avait promis qu’ils passeraient pros en cas de victoire. Il a évidemment tenu parole. Encadrés par les joueurs expérimentés tels que Claude Abbes, Kees Rijvers, François Wicart, René Domingo ou encore Bernard Lefebvre, ils entament un début de championnat 1956-57 époustouflant.
Saint-Etienne commence par tenir tête au champion de France sortant, Nice, dès la première journée en obtenant le partage des points (2-2). La réception de Marseille, dès le match suivant, est l’occasion d’une terrible mise au point pour les Verts qui l’emportent 6-3. Mekloufi, avec un triplé, s’est montré étincelant mais c’est surtout le collectif stéphanois qui a donné une leçon de football à son homologue phocéen complètement dépassé. Jean Snella est en train de réussir son pari et la vitesse d’exécution des jeunes Verts alliés à un sens aigu du contre-pied qui semble improvisé, sont en train de déboussoler un à un les adversaires se présentant sur leur route. Lens, le dauphin de Nice est le suivant sur la liste. Il ne résiste guère plus malgré l’ouverture du score nordiste (3-1). Nancy est balayé (7-1) tout comme Sedan (6-2) et Metz (2-0).
Saint-Etienne s’installe en tête du classement et on ne voit guère que le Reims d’Albert Batteux, récent finaliste de la première coupe des champions en 1956, pour suivre le rythme. Justement à la 7e journée, l’ASSE rend visite aux champenois pour ce qui est peut-être considéré comme l’un des dix plus beaux matches de l’histoire du championnat de France.
N’Jo Lea ouvre le score dès la 1ere minute de jeu mais Just Fontaine égalise à la 17e et donne l’avantage aux locaux à la 21e. Rijvers recolle à la marque à la 25e avant que ne commence le récital de Mekloufi. Il marque le 3e but stéphanois à la 27e avant que Fontaine ne remette les deux équipes à égalité (35e). Six buts en un peu plus d’une demi-heure, voilà ce que donne une confrontation entre deux techniciens de génie lorsqu’ils sont aussi bien servis par des acteurs au diapason. Saint-Etienne repasse devant par Mekloufi à la 73e mais Reims trouve encore les ressources nécessaires pour égaliser à la 84e minute. 4-4, époustouflant ! C’est sans compter sur l’intenable algérien qui crucifie l’infortuné gardien rémois sur un dernier coup-franc à l’ultime minute de la rencontre (90e). 5-4, Les Verts viennent de frapper un grand coup et ils prennent le large.
Lors des douze premières journées, ils engrangent dix victoires et même s’ils sont moins dominateurs pendant l’hiver, (ils sont rejoints momentanément par Reims à la 1ere place à la 27e journée), les hommes de Jean Snella donnent un dernier coup de collier pour remporter leur premier championnat de France de l’histoire du club avec quatre points d’avance sur Lens et six sur Reims. L’entraîneur français devient dès lors une véritable icône qui découvre la coupe d’Europe la saison suivante après une confrontation mémorable contre les Glasgow Rangers malheureusement perdue.
Ses compétences sont désormais reconnues et ce n’est donc pas un hasard si Albert Batteux le choisit pour le seconder alors qu’il a été désigné comme sélectionneur de l’équipe de France pour la coupe du monde 1958. Personne ne croit en leur chance mais Jean Snella va contacter une préparation physique en tous points remarquables car que l'on ne s'y trompe pas. Il n’est pas seulement un technicien hors pair, il a fort bien compris que seul une parfaite condition physique de ses joueurs pouvaient leur permettre d’exprimer tout leur talent et pour cela, ils devaient « manger de l’herbe jusqu’à ce qu’ils marquent ». Contre toute attente, la France termine 3e de la compétition. Encore un succès.
Pourtant, avec Saint-Etienne, Snella aura du mal à confirmer ce premier titre attendu depuis 24 ans dans le Forez. La faute à un recrutement moins judicieux, à un groupe moins réceptif à son message et peut-être à une motivation un peu émoussé. Il en tire aussitôt les conclusions qui s’imposent et il quitte l’ASSE pour le Servette de Genève en 1959.
UN RETOUR TRIOMPHAL
A Genève, il réalise encore des prodiges. Avec un club qui était plutôt cantonné aux profondeurs du classement, il remporte en quatre ans, deux championnats de Suisse. Pendant ce temps, l’AS Saint-Etienne entame sa descente aux enfers qui le mène tout droit en seconde division en 1962 malgré une victoire en coupe de France cette même année. Le tout nouveau président qui a succédé à Pierre Guichard, Roger Rocher, n’a plus qu’un seul objectif : faire revenir Jean Snella. Ce dernier, qui a vu les Verts étrillés à Lyon (4-0), le 24 mars 1962, a eu des mots très durs envers son ancienne équipe qui a pratiqué « un football fade et sans réalisme » et par-dessus tout, il a décelé un impardonnable « renoncement face à l’adversité ». Rocher se fait pressant, insiste, fait le forcing. Finalement, Snella donne son accord à une condition : l’ASSE doit remonter en D1.
L’objectif est atteint dès la première saison marquant le retour de l’enfant prodige et de son fils spirituel : Mekloufi qui est également revenu. Il ne faut pas longtemps à Snella pour retrouver ses marques martelant inlassablement le même discours : « donner le ballon avant de rentrer en contact avec l’adversaire, porter le ballon le moins possible pour obliger l’adversaire à courir, jouer le plus simple possible vers l’avant » Tous ces principes de jeu sont assénés sans jamais hausser le ton. Snella ne crie jamais, et contrairement à d’autres entraîneurs qui pratiquent allègrement la technique de la carotte et du bâton, il préfère, en parfait maître d’école qu’il aurait aimé devenir, transmettre sa vocation et son savoir-faire. En échange, il demande une totale implication. Il ne fait pas de cadeaux et connaît la valeur du mot travail.
La saison 1963-64 aurait du être une saison de transition, le temps que Jean Snella ne remette de l’ordre dans le club. De plus, pour un promu, il ne fallait pas non plus s’attendre à des miracles et un bon maintien aurait déjà été considéré comme un excellent résultat. Mais que dire de ce parcours exceptionnel cette année-là . Les Verts remportent tout simplement leur second championnat pour leur retour en première division, une performance que seul Bordeaux avait réalisé jusque-là .
L’ASSE 1963-64
En homme complètement impliqué dans sa tâche, ne laissant rien au hasard, il a appris à ses joueurs à travailler sans se disperser. Il est l’un des premiers à comprendre l’importance de la musculation, de la diététique et de la récupération. Il a tout simplement inventé une véritable école du métier de footballeur qu’il a voulu indissociable avec celle de la vie tout court avec comme maître mot le respect (respect du matériel, du métier, des autres). Le terrain et les vestiaires étaient son domaine et personne ne pouvait y entrer sans son autorisation. Même Roger Rocher devait frapper à la porte pour entrer et malheur à lui s’il ne le faisait pas. Il était tout simplement éconduit. Un exemple parmi tant d’autres pour expliquer son fonctionnement : Les joueurs avaient chacun un casier personnel qu’ils ne pouvaient pas fermer à clé. Snella en faisait régulièrement l’inspection et lorsqu’il estimait que le casier était vraiment trop sale, il jetait tout par terre ou à la poubelle. Voilà quelles sont les recettes qui ont permis à Jean Snella d’amener l’AS Saint-Etienne au firmament du football français.
Il s'associe avec José Aribas, l’entraîneur de Nantes ( certainement les meilleurs apôtres du football en mouvement avec Albert Batteux), pour diriger l’équipe de France en essayant de dupliquer ses méthodes ambitieuses. L’expérience tourne court, Jean Snella jette bien vite l’éponge ne pouvant lutter contre les dissensions internes menées par une partie de l’encadrement national qui ne jure que par la valeur athlétique et physique des joueurs, des notions complètement à l’opposé de ses conceptions.
Il se voue désormais totalement à son club avec lequel il gagne un troisième titre en 1967. Il peut alors tirer sa révérence et malgré l’insistance de Rocher qui ne veut pas le voir partir, il peut retourner à Genève. Il passe le flambeau à Albert Batteux à qui il laisse un héritage qu’il saura faire fructifier.
Jean Snella a connu d’autres expériences enrichissantes par la suite notamment à Nice au début des années 70 (il est distingué meilleur entraîneur de France en 1972) et il s’éteint des suites d’une longue maladie à l’âge de 65 ans le 20 novembre 1979 avec le sentiment légitime d’avoir contribué modestement à l’épanouissement de l’AS Saint-Etienne en lui donnant ses premières lettres de noblesse.Toutefois, ce dont il doit être le plus fier, c'est d'avoir suscité tant de vocations d'entraîneurs parmi les joueurs qu'il a formé. La plus illustre d'entre elles est certainement celle d'un certain Aimé Jacquet qui n'a pas hésité à proclamer haut et fort qu'il avait utilisé un très grand nombre des principes du maître lors de la fabuleuse aventure de l'Equipe de France qu'il a mené à la victoire en coupe du Monde en 1998.
Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, le peuple vert lui en sera Ă jamais reconnaissant.